CHAPITRE 5

— Tu n’as aucune raison de rester, dit Magda. C’est mon problème, et Cholayna n’a pas besoin de toi. Tu devrais rentrer à Armida pour les enfants.

Jaelle secoua la tête.

— Non, breda. Tant que tu devras rester, je ne te laisserai pas seule.

— On ne peut pas vraiment dire que je sois seule, dit Magda. J’ai Cholayna et toutes les sœurs de la Chaîne d’Union si j’ai besoin d’elles, sans parler d’une Maison de la Guilde pleine de nos sœurs. Je me sentirais mieux si je te savais près des enfants, Shaya.

Jaelle n’ha Melora éclata de rire.

— Margali, de tous les arguments que tu aurais pu me donner, c’est le moins capable de m’impressionner ! Combien de temps est-ce que je passe avec nos filles ? Tu voudrais que je sois là pour les border avec un regard admiratif ? Tant qu’Ellemir est là, et leur nourrice, et Ferrika – plus une maison pleine de nounous, avec Ellemir pour les surveiller et Andrew pour les gâter, je doute qu’elles s’aperçoivent seulement de notre absence.

C’était assez vrai, et Magda le savait. Jaelle était encore moins mère et femme d’intérieur que Magda. Elle aimait Cleindori – mais qui ne l’aimait pas ? – mais depuis que la fillette était sevrée, elle passait peu de temps avec elle.

Elle se dit une fois de plus, comme elle se l’était souvent dit, que Jaelle avait très peu changé depuis leur première rencontre ; petite et menue, avec des cheveux cuivrés presque aussi flamboyants qu’à l’époque, elle avait l’aspect fragile de bien des Comyn – comme Damon, comme Callista – mais Magda savait que cette apparence était trompeuse et dissimulait la délicate force de l’acier trempé.

À bien des égards, Jaelle est la plus forte de nous tous. On dit que les femmes Aillard ont toujours fait les meilleures Gardiennes ; peut-être que le poste de Gardienne convient à leur genre de force. Mais celle de Jaelle ne résidait pas dans le laran. Peut-être ne savaient-ils pas encore ce que serait sa véritable force.

Nous sommes toutes les deux à l’âge, pensa Magda, auquel une femme devrait avoir décidé ce qu’elle compte faire de sa vie. J’ai laissé derrière moi mon premier amour, mon premier mariage, mes idéaux de jeunesse. J’ai un enfant, et j’ai recouvré ma santé et ma force. J’ai un travail que j’adore. J’ai pris quelques décisions – je sais les choses que je ne veux pas faire de ma vie. J’ai développé mon laran et je sais que mon amour et mes émotions les plus fortes appartiennent aux femmes. Mais je ne suis pas encore vraiment sûre de ce qu’il me sera donné de faire de ma vie.

Et cela la perturba à tel point qu’elle renonça à discuter avec Jaelle.

— Reste si tu veux. Mais je ne comprends pas que tu veuilles rester en ville quand tu pourrais être à la campagne, à Armida.

Jaelle regarda le ciel, que barraient les Monts de Venza, et la trouée du col descendant vers la ville.

— Tu as la même impression, toi aussi ? J’aimerais reprendre la route. J’ai fait mon devoir envers le clan et la famille, et quand Dori sera un peu plus grande, je la mettrai en tutelle pour être élevée en fille d’Aillard. Et alors… oh, Margali, tu n’as pas envie de repartir sur les routes ? Rafaella voudrait que je revienne travailler avec elle ; elle parle d’un nouveau projet pour les Terriens, mais elle ne veut rien m’en dire tant que je ne lui aurai pas promis ma collaboration. Ce serait dur de quitter la Tour et elle me manquerait – mais est-ce que je ne pourrais pas m’en absenter un an pour me remettre à voyager ? Ça fait si longtemps que je n’ai pas bougé ! Je ne suis jamais restée si longtemps à la même place qu’à Armida ! Cinq ans, Magda !

Magda sourit avec indulgence.

— Je suis certaine qu’on te laisserait aller passer un an en montagne si tu le désirais.

— J’ai entendu l’autre jour qu’une expédition se prépare à faire l’ascension du Haut Kimbi. Personne ne l’a encore faite…

— Et ne la fera sans doute jamais, dit Magda. Pas nous, en tout cas. Tu sais aussi bien que moi qu’ils ne veulent pas de femmes, pas même comme guides. S’il existe encore des hommes pour penser que des femmes sont incapables d’affronter le danger et de manifester du courage, ce sont bien les alpinistes.

Jaelle eut un grognement dédaigneux.

— J’ai fait franchir le Col de Scaravel à une caravane commerciale quand je n’avais pas encore dix-huit ans !

— Breda, je sais de quoi tu es capable. Et Rafaella figure dans les fichiers du Renseignement comme le meilleur guide de sa corporation ! Mais il y a encore des hommes qui ne veulent pas être guidés par des femmes. Quels imbéciles !

Jaelle haussa les épaules avec philosophie.

— Je suppose que si nous voulons escalader le Haut Kimbi ou le Pic de Dammerung, il nous faudra organiser notre propre expédition.

— Oublie le « nous », Jaelle, dit Magda en riant. Le Col de Scaravel me suffit pour jusqu’à la fin de mes jours.

Elle frissonna au souvenir des falaises et des précipices du Col de Scaravel.

— Parles-en à Camilla. Elle sera sans doute ravie de partir escalader tous les endroits inaccessibles que tu pourras trouver !

— Et te connaissant, tu l’accompagneras, dit Jaelle en riant. Tu prétends être timide, mais quand tu es sur le terrain – je te connais mieux que tu ne te connais toi-même.

— C’est possible, dit Magda. Mais pour le moment, nous sommes à Thendara et nous y resterons ; enfin, quelques jours, au moins.

— Nous devrions envoyer un message à Armida ; ils nous attendent, lui rappela Jaelle. Il faudrait les prévenir que nous allons bien – que nous n’avons pas été assassinées sur la route ou autre chose de ce genre.

— Non, dit Magda, morose. Simplement assassinées à Thendara par les âneries bureaucratiques ! Nous les contacterons ce soir ?

— Tu les contacteras, Magda. Tu es bien meilleure télépathe que moi.

— Mais ils voudront des nouvelles de nous deux, dit Magda, et Jaelle hocha la tête.

— Ce soir, alors, quand tout sera silencieux.

 

Mais le soir, il y avait une cérémonie du Serment à la Maison. Magda et Jaelle ne connaissaient ni les nouvelles Renonçantes ni leurs mères de serment, mais elles ne pouvaient pas décemment s’abstenir de participer aux festivités dans leur propre Maison. Après, il y eut une petite réception, avec vin et gâteaux ; Magda, sachant ce qui l’attendait, but avec modération. Elle passa la plus grande partie de la soirée avec Camilla et Mère Lauria, et tomba d’accord avec elles pour trouver que les nouvelles Renonçantes avaient l’air bien jeunes. Celle qui venait de prononcer le Serment, et ses amies qui en avaient été témoins, semblaient encore des enfants. Elle et Jaelle étaient-elles si jeunes à l’époque ? En plus de la mère de serment, on choisissait toujours une femme plus mûre comme témoin de la cérémonie, et il lui sembla incroyable que Doria fût cette femme, qui avait quinze ans quand Magda avait partagé sa période de réclusion avec elle.

Rafaella était là et passa toute la fin de la soirée à parler avec Jaelle ; Magda trouva naturel que Jaelle recherche la compagnie de sa vieille amie et associée, mais, voyant Rafi boire en abondance du vin blanc des montagnes, elle espéra que Jaelle ne se laisserait pas entraîner. Il était tard quand elles purent s’esquiver vers la chambre qu’elles partageaient – mais c’était aussi bien. L’atmosphère était plus tranquille, la nuit, quand tout le monde dormait ; dans les Tours, l’essentiel du travail des matrices s’effectuait entre le coucher et le lever du soleil.

— De quoi te parlait Rafi ?

— D’un nouveau projet pour la Cartographie et Exploration – un relevé de terrain dans les montagnes. Elle voulait que je lui promette d’y participer.

Jaelle ôta ses bottines d’intérieur et délaça sa tunique, l’air déçu. Magda s’assit sur le lit pour se déshabiller aussi.

— Tu as promis ?

— Je ne pouvais pas. Je lui ai dit que je devais te consulter, de même que nos amis de la Tour. Je crois qu’elle ne sait pas que nous avons échangé le serment d’union libre, et je n’ai pas eu l’occasion de le lui dire.

— C’est peut-être aussi bien.

— Tu l’as dit à Camilla.

— Mais Camilla n’est pas jalouse. Rafaella et moi, sommes parvenues à un compromis de coexistence mutuelle – nous arrivons même la plupart du temps à nous supporter facilement – mais elle est jalouse de notre amitié, Jaelle.

— Rafi et moi n’avons jamais été amantes, Margali. Du moins pas depuis mon enfance. Ça n’a jamais été bien loin. Et maintenant, Rafi n’aime que les hommes. Ce qu’il a pu y avoir entre nous quand nous étions très jeunes ne me semble pas avoir la moindre importance, et je ne crois pas que ce soit différent pour elle.

Jaelle, debout pieds nus sur le sol glacé, frissonna, et enfila vivement sa chemise de nuit.

— Ce n’est pas de ça qu’elle est jalouse, dit Magda, étonnée que Jaelle ne le réalise pas. Ce qu’elle envie, c’est que nous travaillons ensemble, que nous partageons le laran. Car c’est le lien le plus intime de tous.

Elle se hâta de revêtir sa chemise de nuit et sa robe de chambre, car la Maison n’était pas bien chauffée le soir.

— Veux-tu monitorer, Jaelle ? Ou préfères-tu que ce soit moi ?

— Je m’en charge. C’est ce qui convient le mieux à mon niveau.

Jaelle ne se faisait pas d’illusions sur ses capacités télépathiques. Elle avait passé la moitié de sa vie à bloquer son laran, et ne s’était soumise à l’entraînement que lorsqu’elle n’avait plus pu l’exclure de sa conscience. Maintenant, elle ne pouvait prétendre qu’à un niveau moyen, suffisant, selon l’expression consacrée en parlant des télépathes non-entraînés, pour ne pas être un danger pour elle ou pour les autres.

Jaelle faisait partie intégrante, et en était heureuse, du groupe de télépathes librement associés, qui travaillaient en dehors des structures normales des travailleurs des matrices ténébrans, et qui, par défi, s’étaient donné le nom de Tour Interdite. Mais elle ne serait jamais assez compétente pour prétendre au titre de mécanicienne ou technicienne des matrices. Parfois, en regardant Magda, née Terrienne, et devenue une des plus habiles techniciennes, elle regrettait douloureusement d’avoir rejeté son héritage sans espoir de le recouvrer.

Elles portaient toutes les deux de chaudes pelisses et des pantoufles doublées de fourrure. Le travail psychique drainait la chaleur corporelle. Si le télépathe restait trop longtemps au niveau astral qu’on appelait le surmonde, il pouvait être victime de douloureuses gelures.

Jaelle prit sa matrice dans le sachet de cuir suspendu à son cou, et la débarrassa de son enveloppe de soie. La pierre bleue, pas plus grande que l’ongle de son petit doigt, luisait doucement, traversée d’éclairs pâles.

Elle dit tout haut, bien que ce ne fût pas vraiment nécessaire, car, dès le moment où Magda avait sorti sa matrice, elles avaient été en contact :

— Accordons les résonances…

Magda prit d’abord conscience de la chaleur et de la masse du corps de Jaelle, bien qu’elle ne la regardât pas ; les yeux fixés sur sa matrice, elle ne voyait que les lumières mouvantes de la pierre. Elle perçut les champs d’énergie vivante de Jaelle, la pulsation des courants vitaux. Puis, délicatement, elle commença à accorder les vibrations de sa pierre à celles de Jaelle, sentant un point de – chaleur, lumière, énergie indéfinissable circulant dans la pièce ? Non, rien de si tangible. Elle sentit les battements de son cœur s’altérer un peu, s’accordant aussi aux énergies des deux pierres, et elle sut que son sang coulait dans ses veines et ses artères à la même cadence que celui de Jaelle.

Elle sentit, comme une main passant sur son corps, Jaelle qui la monitorait, la sondant pour s’assurer que tout allait bien dans ses membres et ses organes avant d’en retirer sa conscience, ayant tout remarqué, même l’écorchure qu’elle s’était faite à la cheville en glissant sur une pierre l’autre jour, même ses sinus légèrement bouchés – elle devait avoir rencontré quelqu’un au Q.G. aujourd’hui, à qui elle était légèrement allergique ; elle le remarqua quand Jaelle manipula les énergies pour dégager l’occlusion.

Elles ne parlèrent ni l’une ni l’autre, mais communiquèrent dès que Jaelle eut terminé.

Prête ?

Je sors de mon corps.

Magda laissa sa conscience se glisser hors de son corps, puis, baissant les yeux, se vit, apparemment inconsciente, allongée sur le lit qu’elles partageaient. Jaelle, emmaillotée dans une couverture, était assise près d’elle. Elle pensa incongrûment : Cette vieille robe de chambre devient vraiment trop minable ; il m’en faudra bientôt une autre. Dommage que je déteste tellement la couture.

Elle aurait pu en réquisitionner une dans les magasins du Q.G., mais elle avait vécu trop longtemps à la Maison de la Guilde pour trouver cela acceptable.

Puis elle fut hors de la chambre, et se retrouva dans l’immense plaine grise et morne du Surmonde. Au bout d’un moment, Jaelle se dressa près d’elle. Comme toujours dans le Surmonde, Jaelle semblait plus petite, plus menue, plus fragile, et Magda se demanda, comme elle l’avait souvent fait, si ce qu’elle voyait était une projection de la façon dont se voyait Jaelle, ou le reflet de sa pensée à elle, qui s’était toujours sentie protectrice à l’égard de Jaelle, comme si elle était plus jeune et plus faible.

Autour d’elle s’étendait la grisaille à perte de vue dans toutes les directions, pâle et informe. Au loin, des silhouettes flottaient. Certaines, Magda le savait, étaient comme elles des visiteurs des niveaux non physiques d’existence ; d’autres étaient simplement sortis de leurs corps par hasard, en rêve ou dans la méditation. Elle n’en voyait aucune avec netteté, car elle n’avait pas encore fermement défini sa voie.

Maintenant, dans la pénombre semblable à celle de la brume qui se disperse, elle distinguait de faibles repères dans la grisaille. D’abord et avant tout, elle vit une structure brillante, se dressant sur la plaine, qu’elle reconnut pour l’idée-forme appelée la Tour Interdite – abri dans le néant du monde astral. C’était son foyer, son foyer spirituel, partagé avec ceux qui comptaient plus pour elle que ses sœurs de la Guilde elles-mêmes. Elle observait encore scrupuleusement toutes les obligations du Serment des Renonçantes ; elle était une Amazone Libre, non seulement en paroles mais en esprit. Mais la Maison de la Guilde ne pouvait plus satisfaire toutes ses aspirations.

Avec la rapidité de la pensée – car ce qu’elle imaginait dans le Surmonde devenait littéralement vrai – elle se retrouva debout près de la Tour. Immédiatement, elle fut à l’intérieur, dans ce qui lui apparut, dans les moindres détails, comme les appartements du premier de la Grande Maison d’Armida. Elle était venue si tard à ce travail qu’elle ne s’était jamais tout à fait habituée à la façon dont le temps et l’espace évoluaient dans ce plan.

Les quatre chambres étaient vides – elle les voyait toutes en même temps, d’une façon qu’elle ne s’expliquait pas mais quelque part luisait la lumière bleue d’une matrice, celle de celui qui montait la garde. Puis, sans transition, Callista Lanart-Carr se dressa près d’elle.

Rationnellement, Magda savait que Callista n’était pas aussi belle dans la réalité que dans le Surmonde. Ici, elle voyait Callista par les yeux de l’esprit, par les yeux de son amour et de sa vénération pour cette femme qui était le centre du cœur et de l’esprit de la Tour Interdite. Dans la réalité (mais, après tout, qu’était la réalité, et qu’était l’illusion ?) – sur le plan de l’existence matérielle, Callista Lanart-Carr, autrefois Gardienne d’Arilinn, était une femme grande et frêle, ses flamboyants cheveux roux devenus presque gris bien qu’elle n’eût guère dépassé la trentaine, le corps avachi par trois grossesses, et le visage ridé par les soucis. Mais sur ce plan, au moins pour Magda, Callista avait conservé la beauté radieuse de sa jeunesse.

Magda savait qu’elle n’avait pas parlé, car la parole et les sons ne signifiaient rien ici. Il lui sembla que Callista l’accueillait par un cri de joie.

— Magda ! Jaelle ! Nous vous attendions…

Soudain, elles furent entourées par tout le Cercle de la Tour, Ellemir, Andrew et Damon, vivement tirés de leur sommeil et de leurs rêves. Kieran, le frère de Damon, était là également, avec son fils Kester, et Dame Hilary Castamir-Syrtis, qui, comme Callista, avait autrefois été Gardienne d’Arilinn. Un instant, Magda et Jaelle eurent l’impression d’être l’objet d’une débauche d’affection, composée de toute la tendresse, de tous les baisers et étreintes qu’elles avaient jamais connus, sans limites de temps et d’espace, et cela dura très longtemps (en réalité, Magda savait que cela n’avait duré qu’une fraction de seconde.)

Enfin, à regret, ce flot d’amour se retira (mais Magda savait qu’il ferait toujours partie d’elle-même, toujours rassurant et renouvelé) et Ellemir dit :

— Mais mes amies, nous vous attendons depuis une décade ! Je sais que le climat est parfois rude à Thendara, mais je n’ai pas entendu parler de tempête, même dans le col. Que s’est-il passé ?

Une question humoristique de quelqu’un – Kester ? – demandant quels plaisirs de la grand ville, amis, amants, les avait retenues – quelque chose comme une vive réprimande de Damon pour cette indiscrétion – l’étonnement mal dissimulé d’Ellemir que quoi que ce soit pût garder des mères loin de leurs enfants – une étreinte d’Andrew à Magda, car il y avait entre eux quelque chose de spécial, le lien d’expériences partagées, plus fort que l’amour…

— Cholayna avait besoin de moi, et Jaelle est restée pour me tenir compagnie, leur dit Magda, puis elle leur communiqua rapidement l’histoire de l’avion perdu dans les Heller.

Quelque chose devait en avoir filtré dans le Surmonde.

Elle sentit la colère d’Andrew l’embraser comme une flamme, entourant les contours de son corps d’une aura rouge et orange ; elle le voyait parfois ainsi quand ils étaient tous deux dans leurs corps. Ici, c’était saisissant.

— On n’aurait pas dû te demander ça, Magda. Au diable cette Anders, rien n’excuse cette demande. C’est bien des Terriens, avec leur maudit Besoin-de-Savoir, à tout prix. Ils n’ont aucune idée des besoins humains…

— Tu es trop dur, Andrew. Cholayna m’a bien précisé que je pouvais refuser.

Andrew écarta l’objection.

— Et tu aurais dû. Je parie que tu n’as rien trouvé de valable.

— J’ai ramené Lexie, se défendit Magda. Elle aurait pu rester amnésique indéfiniment ! Et il y a plus.

Impulsivement, elle partagea avec Callista l’image qu’elle avait vue dans le cerveau de Lexie en se retirant.

Des silhouettes en longues robes noires, à capuchons rabattus. Un appel de corbeaux résonnant dans un silence plus profond que les profondeurs du Surmonde…

Elle sentit un instant que ce n’était pas tout à fait nouveau pour Callista.

J’ai parfois rencontré d’étranges leroni dans le Surmonde, dit Callista, les incluant tous. Pas souvent, et fugitivement. Une fois, quand j’étais très malade – son esprit recula devant le souvenir des épreuves subies pour devenir Gardienne d’Arilinn – et de nouveau quand j’étais piégée sur d’autres plans du Surmonde et que je ne pouvais rien contacter de familier. Je me rappelle les cris d’étranges oiseaux, et des formes sombres, et c’est tout. Ton amie – Alexis ? – si, dans cette extrémité, elle s’est téléportée à partir de l’avion en chute, elle a peut-être traversé d’étranges lieux du Surmonde. Vraiment, je ne crois pas qu’il faille chercher davantage, Margali.

— Mais, et l’avion abattu ? On n’en a pas retrouvé trace…

— J’ai une théorie à ce sujet, dit Damon.

Et elle ressentit la sensation familière de chaleur, force, protection (leur Gardien, plus proche qu’un amant, la personne autour de laquelle s’était édifiée la Tour Interdite, le seul homme des Domaines qui avait eu le courage de le faire, qui avait rendu leurs pleins pouvoirs à Callista et Hilary, malgré les lois interdisant à une Gardienne déchue de se servir jamais de son laran, Damon, leur abri et leur force, leur amant et leur père tout ensemble)…

Et de nouveau ce contraste entre ce qu’était Damon dans la « réalité », et son apparence dans le Surmonde : dans la vie, Damon était un petit brun insignifiant, aux cheveux grisonnants et aux yeux fatigués, qui accusait son âge – il avait vingt ans bien comptés de plus qu’Andrew, lui-même un peu plus âgé que Callista et Ellemir. Mais ici, où les choses de l’esprit se manifestaient, Damon semblait grand, fort et imposant, comme un guerrier. Et il avait fallu un guerrier pour résister au pouvoir de Léonie Hastur, qui gouvernait les Tours de la même main de fer que son frère jumeau, Lorill Hastur, gouvernait les Domaines. Damon avait vaincu Léonie, au cours d’une bataille psychique contre des forces supérieures, et avait gagné le droit d’établir ce qu’ils appelaient maintenant, par défi, la Tour Interdite.

— J’ai une théorie sur la disparition de cet avion, dit Damon. Si cette Anders a véritablement fait appel à un don psi latent et s’est téléportée – et ce n’est pas impossible, j’ai vu Callista le faire quand nous étions prisonniers des hommes-chats – l’énergie nécessaire devait venir de quelque part. Elle n’avait pas de matrice, naturellement.

Les pierres-matrices étaient des cristaux ayant la curieuse propriété de transformer les ondes cérébrales en énergie sans sous-produits de transition.

— D’une façon ou d’une autre, quand elle a trouvé la force de se téléporter, elle s’est servie de la masse de l’avion pour produire l’énergie nécessaire. Cette énergie ne pouvait pas venir de nulle part, après tout. En fait, elle a désintégré et atomisé l’avion, et utilisé cette immense énergie pour effectuer sa téléportation. Pas étonnant qu’on n’ait pas retrouvé l’avion, même avec les satellites. Il n’existe plus. Il est désintégré.

— Je trouve que c’est un peu tiré par les cheveux. Damon, objecta Andrew. Où aurait-elle trouvé la force, sans parler des connaissances, pour faire ça ? Si elle était une technicienne psi, même issue d’un autre monde ou d’une autre tradition, je suppose qu’elle aurait pu réussir. Mais une complète novice – sans doute aveugle mentale ? C’est inimaginable. Il lui aurait fallu de l’aide.

— Peut-être qu’elle a reçu de l’aide de ces étranges leroni dont parlait Callista ; et qu’elle les a rencontrées en traversant un certain endroit du Surmonde, suggéra Kieran.

— Quelle importance ? dit Ellemir, pratique.

Elle était toujours la plus pragmatique.

— L’avion a disparu, reprit-elle, et je suppose que le comment et le pourquoi n’ont guère d’importance, sauf si les Terriens se mettent dans la tête de monter une opération de sauvetage pour savoir s’il y a un enregistrement dans – comment appelez-vous cela, la boîte noire ? – de ce qu’elle a repéré au-delà du Mur-Autour-du-Monde.

— Je leur souhaite bien du plaisir, dit Andrew, ironique. J’ai travaillé pour la Carto-et-Explo. Il n’y a rien là-bas. Absolument rien.

— Qu’ils aillent voir, dit Dame Hilary avec l’équivalent d’un haussement d’épaules. Ça les occupera. Certains Terriens sont des gens remarquables, dit-elle embrassant Andrew et Magda dans un regard affectueux, mais que nous importent les recherches folles qu’ils peuvent entreprendre ? Quand revenez-vous, mes chères sœurs ? Vous nous manquez. Et les enfants…

Elle s’interrompit, car leur petit groupe venait de s’enrichir de deux nouvelles arrivantes.

Kiha Margali – Magda eut l’impression qu’on la tirait doucement par le bras, et Cassilde, adolescente de quatorze ans, blonde aux yeux bleus, se jeta dans ses bras.

Magda sentit la surprise du cercle. Aucun d’eux ne savait que la fille aînée de Callista avait accès au Surmonde. En général, les jeunes enfants avaient peu de laran – mais Cassilde approchait de l’âge où le laran pouvait se manifester d’un jour à l’autre.

— Est-ce que je rêve, Maman ? Kiha – est-ce que je rêve ? Ou êtes-vous tous là réellement ?

— Peut-être que tu rêves, chiya, dit doucement Damon, et une fois de plus, sa pensée les embrassa tous dans une même étreinte. Mais elle est assez grande ; il faudra commencer à l’entraîner correctement.

Mais alors même qu’ils incluaient la jeune Cassie dans leur embrassement chaleureux, ils entendirent un cri réclamant l’attention.

Maman ! Je t’ai tellement appelée, et tu es venue…

Jaelle prit Cleindori dans ses bras, mais la confusion de l’enfant les étonna tous. Cassilde, à l’aube de la puberté, pouvait très bien avoir trouvé l’accès de ces plans non-matériels de la pensée et de l’esprit ; mais que Cleindori en eût fait autant à cinq ans, c’était prématuré.

Cassie, même si tu as le talent de venir ici, tu n’aurais pas dû essayer avant de savoir comment te protéger, l’admonesta doucement Callista ; et Andrew ajouta, de son ton le plus tendrement paternel : et même si tu peux venir ici, ma chérie, tu n’aurais pas dû amener Cleindori avec toi.

— Mais je ne l’ai pas amenée… commença Cassie, tandis que Cleindori protestait avec véhémence :

— Cassie ne m’a pas amenée, je suis venue toute seule. J’adore Tante Ellemir, mais c’est toi que je voulais Maman, et ça fait si longtemps que tu étais partie ! Je t’ai appelée, et tu es venue ; et moi aussi je peux venir ici sans Cassie, je viens souvent, je peux même amener Shaya. Regarde !

Et Magda vit sa petite Shaya, en longue chemise de nuit, les cheveux tout ébouriffés par l’oreiller ; elle dit d’une voix endormie :

— Maman ?

À demi incrédule, Magda prit sa fille dans ses bras. Leurs corps étaient séparés par trois jours de voyage, mais elle avait l’impression de serrer sa fille sur son cœur, de sentir la tiédeur de son petit corps, et le poids léger de sa tête sur son épaule. Comme elle lui avait manqué ! Mais Shaya, pour sa part, n’était ici qu’en rêve. Elle se réveillerait le lendemain, se souvenant qu’elle avait vu sa mère en songe ; Magda espérait qu’elle ne pleurerait pas.

— En voilà assez, dit Ellemir avec autorité. Nous savons ce que tu peux faire, Cleindori, mais c’est défendu. Ramène immédiatement Shaya dans son lit. Et toi, Cassie, retourne dormir ; tu n’es pas assez forte pour rester si longtemps hors de ton corps. Demain, si personne d’autre ne s’en occupe, je te promets de t’apprendre correctement comment faire. Mais pour le moment, va te coucher.

Cassie s’évanouit. Mais Damon prit doucement Cleindori dans les bras de sa mère.

— Écoute-moi, ma fille. Tu n’es encore qu’une toute petite fille, mais puisque tu es venue nous rejoindre, c’est que tu es assez grande. Tu sais où tu es, chiya ?

— C’est le monde gris. Je ne sais pas comment tu l’appelles. Je crois que c’est l’endroit où je vais quand je rêve ; c’est ça ?

— C’est ça, et bien davantage, mon petit. Tu y étais déjà venue ?

Cleindori répondit, très concentrée, cherchant ses mots :

— Je ne me rappelle pas un moment où je ne pouvais pas venir. Je suis toujours venue ici. Je crois que j’étais ici avec Maman et Shaya avant d’être née. Quand Taty Ellemir m’a expliqué comment venaient les bébés, avant la naissance de Shaya, j’ai été étonnée, parce que je croyais qu’ils venaient du monde gris. Parce que je parlais souvent avec Shaya avant qu’elle soit un bébé. Elle était grande, ici, et tout d’un coup elle était un bébé et elle ne pouvait plus me parler sauf quand nous étions ici.

Miséricordieuse Evanda ! pensa Magda. À sa façon enfantine, Cleindori venait d’exposer une théorie métaphysique qui la dépassait et sans doute les dépassait tous, sauf, peut-être, Damon et Callista qui avaient étudié ces choses.

En tout cas, Damon la comprit. Il serra l’enfant sur son cœur en disant :

— Mais dans le monde d’en bas, tu n’es qu’une toute petite fille, ma chérie, et ton corps n’est pas assez fort pour rester longtemps ici. Tu te rappelles quand Tante Margali t’a dit que Shaya ne pouvait pas manger de gâteau aux noix avant d’avoir des dents ? Eh bien, ton corps n’est pas encore assez fort pour venir ici, Dori. Tu ne dois pas le quitter avant de savoir exactement comment faire. Tu ne peux venir ici qu’en rêve, mon petit ; et surtout, il ne faut pas amener Shaya avant qu’elle soit capable de venir sans ton aide. Tu te rappelles le jour où tu as voulu aider un poussin à sortir de sa coquille ?

Elle hocha la tête, très grave.

— Oui, j’ai voulu l’aider, et il est mort.

— Alors, tu sais pourquoi il ne faut pas aider Shaya à faire ce qu’elle ne peut pas faire avant d’être assez grande. Tu peux lui demander de rêver avec toi, mais pas plus.

— Mais quand nous rêvons, nous ne pouvons pas rester ici assez longtemps.

— Non, mais c’est assez longtemps pour vos forces et cela ne vous fera pas de mal. Il ne faut pas venir ici, sauf en rêve, ma fille. Tu me le promets ?

Elle regarda Damon bien en face, et Magda, toujours en rapport profond avec Damon vit ses yeux, et ce n’étaient pas du tout des yeux d’enfant.

Puis Cleindori dit avec une docilité inhabituelle :

— Je promets, Papa.

— Alors, sauvez-vous toutes les deux, et retournez dormir, dit Damon, les encourageant du geste.

Les deux enfants s’évanouirent comme un rêve. Projetant plus loin sa conscience, Magda les vit toutes les deux dans leur lit, profondément endormies.

— Elle est trop précoce ! soupira Damon. Je savais qu’on en arriverait là, mais je ne pensais pas que ce serait si tôt.

Mais, avant qu’aucun d’eux n’ait pu pénétrer plus avant dans ses pensées, il les engloba de nouveau dans sa tendresse.

— Restez à Thendara aussi longtemps qu’il le faudra. Croyez-moi, nous surveillons mieux les enfants que vous ne pourriez le croire après cette expérience !

Le monde gris se dissolvait en volutes de brume. Magda sentit qu’elle s’en retirait, sachant que le Surmonde se fondrait bientôt dans le sommeil normal, et que cette rencontre lui laisserait le souvenir d’un rêve le lendemain matin. Un instant, elle se sentit serrée dans leurs bras. Dans la grisaille brumeuse, elle vit et embrassa brièvement Ferrika (la sage-femme était à l’autre bout du domaine, veillant une femme en travail, que son esprit conscient n’avait pas pu quitter un instant, même pour aller saluer ses sœurs), et aussi Colin de Syrtis, le mari de Dame Hilary (bref moment de douceur, réveillant une passion qui s’était éteinte avant même la naissance de Shaya) puis, de nouveau, en un instant suspendu entre le temps et l’espace, elle se retrouva face à face avec sa fille.

Un rêve…

Bien sûr, il existe un plan d’existence où Shaya n’est pas une enfant. Je ne dois pas l’oublier – je dois me rappeler toujours qu’elle est davantage que le bébé que j’ai tenu dans mes bras, caressé et choyé. Les mères qui l’oublient nuisent beaucoup à leurs enfants, se dit-elle. Puis tout disparut dans la grisaille informe, et elle se retrouva dans son corps vide à demi gelé.

Elle se rapprocha de Jaelle, se serrant étroitement contre elle pour se réchauffer. Un instant, excitée à un niveau qui dépassait le plan physique, car ce travail la laissait souvent survoltée, il lui sembla qu’elle aimerait faire l’amour avec sa compagne, mais Jaelle était déjà profondément endormie.

Nous n’avons pas besoin de ce contact physique, alors que nous avons ce lien spirituel.

Elle revécut l’exultation de ce moment où ils étaient tous autour d’elle, unis par ce lien le plus fort de tous.

Puis, avec une nostalgie à la fois douce et triste, elle souhaita pouvoir partager cette expérience avec Camilla.

Est-ce que nous faisons l’amour, Camilla et moi, parce que nous ne pouvons pas partager ces expériences ? Et pourquoi a-t-elle toujours refusé son laran ?

Avec quelque tristesse, elle se rappela ce que Damon venait de dire à Cleindori, et réalisa que c’était une leçon qu’elle ne devait pas oublier.

Sombrant doucement dans le sommeil, le vrai sommeil, Magda pensa : j’espère que je me rappellerai tout ça au réveil !

La Cité Mirage
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